Son père Gaston Baratte, vaque calmement à ses occupations dans son bureau et le petit salon. Il sait qu’une opération de sabotage est prévue ce soir-là. Il a pourtant tenté avec l’abbé Gilleron d’en dissuader ses amis résistants car des informations circulent côté allemand de la possibilité de représailles après les actions précédentes du 27 et 29 mars dans le village, déjà sur la voie ferrée.
Les parents d’André Baratte sont au salon, au rez-de-chaussée de la maison lorsqu’ils entendent l’explosion de 22H 44, suivie d’une coupure d’électricité dans Ascq. La maison des Baratte reste alors épargnée par la coupure d’électricité du village car elle est rattachée par l’alimentation électrique indépendante de l’usine, connexe à la maison.
Rapidement, distinguant des cris et des coups de feu dans le village, M. et Mme Baratte décident de réveiller leurs enfants et tirent par les jambes notamment leurs 2 fils pour les éloigner de la fenêtre, craignant des coups de feu sur la façade.
Ils se retrouvent alors tous sur le pallier du premier étage, endroit jugé le plus sûr de la maison. En observant tout de même par une fenêtre des coups de feu rougeoyer dans la nuit, Gaston Baratte dit à sa femme « On ramasse les hommes ».
On frappe alors à la porte de la maison à coup de crosse, Mme Baratte descend l’escalier et ouvre la porte. Deux hommes en uniforme allemand braquent leur mitraillette sur elle et entrent dans la maison.
L’un des deux fait signe à Mme Baratte de monter à l’étage. Elle monte lentement au premier étage à reculons tentant de barrer le passage. Gaston Baratte descend alors quelques marches et se présente à eux. Il est immédiatement emmené.
L’un des militaires en partant tente de rassurer Mme Baratte en lui disant en français avec un fort accent allemand « Réparations, train Kaputt » et précise « Fermer porte…demain Ascq Kaputt ».
Des derniers instants de son père, André Baratte indique dans son ouvrage « C’était avant la nuit » qu’il ne sait rien si ce n’est qu’une légende racontée à plusieurs reprises dans des récits du massacre indique que son père aurait dit à un jeune de 15 ans, placé à côté de lui, pour le protéger « Cache toi derrière moi ».
Ce récit témoigne combien dans l’esprit des Ascquois, Gaston Baratte était considéré comme un homme de grande qualité humaine.
Une demi-heure après le départ de Gaston Baratte, de nouveau 3 militaires allemands frappent à la porte de la maison. Mme Baratte descend de nouveau l’escalier pour ouvrir et les 3 militaires fouillent la maison. A l’étage ils découvrent les enfants, l’un d’eux fait signe au jeune André de descendre avec lui. Il dévale les premières marches avec le canon de la mitraillette pointé sur son dos. Il réalise alors qu’il est en pyjama. Il a un mouvement de recul, impossible pour le jeune homme de sortir dans cette tenue ! Il montre alors la salle de bain. Les « Komm, Komm, » du SS qui le tient en joue interpellent le sous-officier qui sort de la cuisine et monte l’escalier avec sa lampe torche la braquant sur André Baratte. Celui-ci prononce alors les mots qui lui ont sans doute sauvé la vie : « Scout …couché ».
André Baratte ne saura jamais si c’est son apparence juvénile ou sa reculade liée à sa tenue qui lui ont sauvé la vie à cet instant.
Dans la matinée, après avoir appris le décès de son mari, Mme Baratte prends peur car les SS sont toujours présents dans le village. Elle craint qu’ils ne récidivent. Elle décide de confier son fils André à son oncle qui l’emmène dans la matinée à Tourcoing.
Il y restera durant 2 jours, dont André Baratte dit n’avoir aucun souvenir, comme si après le choc des évènements, il vivait une amnésie. Il ne reviendra que le mardi à Ascq par ses propres moyens.
Alors qu’il lui est proposé d’aller voir la dépouille de son père à l’école Pierre et Marie Curie le mardi après-midi, dernier moment avant sa mise en bière, il décide du haut de ses 15 ans de ne pas y aller car il se dit qu’il préfère garder de son père le souvenir d’un homme vivant.
Après la guerre, en 1948, il termine ses études à l’Institut de Textile Roubaisien et est appelé au service militaire. Il en sera néanmoins exempté en tant qu’orphelin de guerre et pupille de la nation. Il prend alors officiellement fonction dans l’entreprise familiale, en prenant en charge la responsabilité de la fabrication, poste occupé au préalable par son père.
En 1951, Mme Baratte tombe malade d’un cancer, dont elle sera soignée pendant 10 ans. Elle meure prématurément en 1961 à l’âge de 62 ans.
Des aléas de gestion de l’entreprise familiale, avec à ses côtés le fils de son oncle, lui aussi gestionnaire de l’entreprise Baratte -cousin qui développera une dépression et finira par mettre fin à ses jours en 1979- conduisent alors André Baratte à quitter la direction de l’entreprise familiale.
Il part à 41 ans s’installer à Amiens avec sa femme et ses 3 enfants, à la faveur d’une proposition d’emplois et fera sa vie dans la capitale picarde.
Il y vit toujours actuellement à l’âge de 96 ans.